Les carnets de la Chimère

Samedi 2 septembre

Dernière étape de notre chimère, les spectacles BIEN PARADO et POURQUOI LES VIEUX QUI N'ONT RIEN À FAIRE, TRAVERSENT AU FEU ROUGE ? 

Pas de moquette mouillée ce soir, le soleil décline sur les hauts de Quimperlé, l’atmosphère est fraîche. Je vois les spectateurs s’installer à même le bitume sec en attente de se réchauffer.

Ça ne tarde pas, à peine l’Angelus achevé au clocher de Quimperlé, c’est une autre musique qui prend sa place… Cédric est aux commandes …D’étranges détonations me parviennent et se mêlent à la mélodie…

Jane, pantalon élimé, capuche et bonnet vissés sur la tête, entre en scène faisant bruyamment basculer un imposant cube de bois. Des spectateurs sont contraints de bouger, de sortir de la zone de confort qu’ils s’étaient fabriquée …

Son regard est perçant, pénétrant sans doute, les effraie-t-elle, les dérange-t-elle ?

Me permettrai-je de dire que même si elle roule sa caisse elle ne frime aucunement.

Tantôt sur son cube, tantôt au plus proche, très proche même du public, tête sur des genoux, visage contre visage, les évolutions et ondulations vont se succéder.

Je vois son corps vibrer, ses doigts se tendre, ses poings se serrer, ses épaules et ses hanches onduler… Mon cerveau s’emballe, il la transforme en lent serpent, en vif lézard ou même en congénère céphalopode quand elle se meut sur et au milieu des spectateurs.

Son regard en cherche d’autres, sa tête dodeline au rythme de la musique, plusieurs têtes dodelinent Son regard s’accroche au mien, je dodeline de la tête… Je vois cette fois un être primitif, un sorcier…

Changement de musique, le regard noir fait place au sourire … et quel beau sourire ! Le sonorisateur, complice semble se détendre, répond à son sourire, à son rire même…

Le rythme s’accroît, la musique s’électrise... Jane invite un, puis tous les spectateurs à danser, des enfants devant moi semblaient n’attendre que ça, ils sont enchantés…

Je me dresse sur mes tentacules et ondule à mon tour, un comble, la Chimère en pleine rave !

Je ne sais plus où est Jane, je l’ai perdue, je ne la vois plus… Serait-elle, comme moi, championne du camouflage ?

Je l’entends : « 1, 2, 3, 4, 5, 6 », elle ressurgit sur le cube, elle claque des mains, elle est belle…

Elle a la grâce d’une danseuse de flamenco, un électro-flamenco…

Ovation, tellement méritée !

 

Chimèrement vôtre.


C’est le titre de ce spectacle qui m’interpelle et je nage donc vers Quimperlé ce dernier soir des Rias. Aurais-je la réponse à cette question ? Je me faufile donc discrètement dans le public alors que devant nous, est reconstituée une maison de retraite.

Se déroule alors devant moi le quotidien d’un groupe de personnes âgées. Leurs visages sont affublés d’un masque, ce qui permet de définir les caractères propres de chacun et de créer également un effet de distanciation afin de mieux faire parler les mains et les corps meurtris par les années.

La première scène donne le ton. Deux résidents sont surpris dans leur cachotterie habituelle : s’asseoir sur un banc et fumer un cigarillo !

Nous nous plongeons ensuite dans la routine des pensionnaires. Exercices d’entretien du corps, ateliers de mémoire, distribution des médicaments, séances d’aérobic, fête d’anniversaire rythment leurs journées. Mais ils partagent aussi leurs désirs, leurs rêves et leur face à face avec l’inéluctable issue.

La perte d’autonomie, les absences de l’esprit, le décès de l’être cher, la sexualité, l’envie d’en finir nous donnent autant de scènes burlesques et quelquefois dramatiques. Les thèmes abordés sont durs mais traités avec légèreté. Cependant même si le rire et la poésie sont omniprésents, la moquerie n’a pas lieu d’être. C’est bien l’empathie, sourire en coin, qui gagne mon esprit.

Les personnages sont touchants et si proches de nous ! Plus d’un spectateur est amené à réfléchir sur sa propre vieillesse et sur celle de ceux qui l’entourent. C’est inéluctable, nous vieillissons tous, que nous le voulions ou non et nous serons toujours le vieux de quelqu’un !

La nuit tombe doucement sur cette dernière journée des Rias... Je n’ai pas eu la réponse à la question existentielle du titre de ce spectacle mais c’est plein d’émotions et de nostalgie que je me glisse doucement vers mon univers : je reprends la mer après une escale 2023 exceptionnelle ! Les nombreux sites dédiés au théâtre de rue vont retrouver leur visage habituel et il restera, dans ma tête et dans celle des milliers de spectateurs, des images fortes, des anecdotes et des souvenirs émus.

A côté de l’affiche du Festival, je vous laisse une trace de mon passage, grâce à mon amie Evelyne, qui a bien voulu me représenter cette année encore.

Pour moi, le clap final du Festival Les Rias, c’est aussi la fin d’un pied-à-terre. Durant presque un an je vais sillonner les mers de la planète en attendant l’horaire précis de la prochaine grande marée, humaine, durant la dernière semaine d’août 2024. 

Les Rias, j’y serai l’année prochaine !

 

Chimèrement vôtre !