Les carnets de la Chimère

Mercredi 30 août

La chimère sur les traces de Moellon et Parpaing du Collectif Maison Courbe avec le spectacle OBAKE, et en infiltrée dans le road trip théâtral BUNDREN ! du Collectif Tranx.

Pour venir de l’océan jusqu’à un dédale de rues du quartier de Kerbertrand à Quimperlé, j’ai dû nager dans les rus, eh oui les arts gagnent aussi les rus, de la Laîta au Dourdu.

Je me sens sereine sous le grand cèdre dans l’attente de la déambulation proposée par la compagnie.

 

Au-dessus, les goélands qui m’ont suivie doivent bien penser qu’il y a quelque chose à se mettre dans le bec.

Les spectateurs ont dû les entendre car ils arrivent timidement, puis par vagues : 100, 200, 300… jusqu’à 500 sans doute, bien plus que je ne peux compter de ventouses sous mes tentacules.

 

Le spectacle commence, Moellon s’extrait d’une poubelle et appelle Parpaing qui surgit d’un toit… Je ressens entre eux de la complicité, de la beauté, de la virtuosité. Ils m’entraînent avec le public vers une série de tableaux tous remplis de souplesse, de prouesse, de tendresse, de rires, de délires, d’émotion, d’appréhension, de contorsion.... 

 

Ils s’amusent et m’amusent avec les éléments du décor : les toits, les balcons, les porches,  les arbres, les escaliers, les voitures sans oublier les spectateurs. Leurs échanges sans balle ni raquette sur une table de ping-pong me font frémir.

 

Je ris à leurs échanges d’onomatopées, de langage simple, ils s’appellent, se perdent, se retrouvent, ils ont besoin l’un de l’autre.  Je les trouve tendres et beaux.

 

Même dans la colère ils sont attachants, ils se calment, se caressent, se peignent, se couvrent d’argile. Une petite crevette humaine à mes côtés dit à sa maman : "Y z'aiment bien la peinture dans les zyeux !" et encore : "ils se remettent de la crème solaire"... Moellon et Parpaing redeviennent êtres primitifs, mouvants et émouvants au rythme de la musique pour finir, tels des caméléons, par se confondre avec la nature…

C’est terminé.

J’applaudis à tout rompre comme des centaines d’humains autour de moi, médusés oserais-je dire…

Bravo les artistes, à vous voir si terreux, vous avez bien mérité d’aller "au baquet"… ouais, facile, je vais me cacher jusqu’à la prochaine !

 

Chimèrement vôtre.


Frétillant d'impatience je remonte  le Mississipi-Dourdu, fleuve principal de la région, pour rejoindre une assemblée devant la ferme d'une famille de paysans, les Bundren. Mon regard s'attarde alors sur une femme presqu'inerte observant son fils occupé à construire un cercueil, à grand fracas de scie et de marteau.

C'est Addie Bundren. Elle est à l'agonie. Anse, le mari, attend sa fin sur la terrasse en se balançant dans son rocking-chair. Il a promis à Addie de l'enterrer parmi les siens dans le cimetière de Jefferson, loin de la ferme.

 

Une fois la mère décédée, Anse, décidé de respecter sa parole, nous propose de suivre les membres de la famille dans ce chemin de croix jusqu'à la tombe, un voyage qu'ils feront en charrette, avec le cercueil et la mère bringuebalant à l'arrière.

Un périple qui ne se passera pas sans mal ni sans dommages! Lors de la déambulation, la famille nous demande de les aider à pousser sur l'engin lors des passages délicats dans la forêt et j'ai la grande joie de plonger avec les fils pour rechercher les outils de Cash tombés dans le Dourdu lors d'une tragique traversée de rivière.

Au fur et à à mesure de notre aventure, les  personnages se dévoilent et m'interpellent  sur la nature humaine : Le fils aîné, Cash  qui se casse la jambe pendant le voyage est le plus rationnel et réaliste de la fratrie. Darl, le second fils, héros sensible et objectif, sera cependant conduit en hôpital psychiatrique. Jewel, le troisième, un écorché vif,  hésite à déserter le groupe, surtout après que Anse ait vendu sa moto adorée.

Le quatrième enfant est une jeune fille, Dewey, qui, enceinte, cherche surtout à se rendre à Jefferson pour un avortement. Le dernier membre de la famille est  Vardaman, une jeune qui se distingue par sa poésie bien particulière, celle propre à l’enfance.

Les autres personnages, Vernon et Cora Tull, le docteur, le révérend, traversent  également cette épopée tragique lors de scènes du plus haut comique. Cependant, ni eux-mêmes,  ni la famille Brunden dans sa profonde misère matérielle et morale, ni les événements racontés n’incitent a priori au rire!

La musique adoucit l'aspect funèbre de notre pérégrination: Du blues, du gospel et du free jazz ponctuent la marche. A la fois sublime et délicieusement dissonante, elle ravie mes ouïes.

 

L’étrangeté de Darl, les colères sourdes de Jewel, la conduite équivoque d’Addie par le passé, l’entêtement d’Anse, la recherche obstinée de Dewel pour sauver son apparence,  les principes religieux de Cora, Varnaman et sa perception brute de la nature, les chants de Vernon.... Je me demande si les participants de cette épopée funéraire ne sont pas tous fous! Parce que la raison, la culture, le savoir, le plaisir, le bonheur, tout ce qui protège les hommes de l’égarement, sont radicalement étrangers à ces gens !

Il est déjà presque 22 heures et le convoi arrive enfin à Jefferson. Je suis épuisée, ravie malgré tout de voir qu'au milieu des réflexions crues, terre à terre des personnages, surgissent parfois des élans poétiques ou des éclairs de lucidité.

Rassurée, il est temps que je rejoigne mon élément marin.

 

A très vite,

Chimèrement vôtre.