Les carnets de la Chimère

Jeudi 28 août

De spectacle en spectacle, la plume de la chimère voit défiler LES SAISONS agricoles à Locunolé avec le Collectif La fugue, tout en gardant le cap sur une barque au milieu de l'étang du Trévoux dans SURCOUF avec la cie Sacékripa. Puis de suivre les pas rebelles de SPEN & LULLA à Quimperlé du Collectif Xanadou, avant d'exulter avec JOUIR de la compagnie Notre Insouciance.


LES SAISONS, « rêvé en fruits »

Après cette canicule estivale, soudain des menaces de pluie et de vent ! Mais rien ne m’arrête : toujours enthousiaste et optimiste, j’utilise mes doubles compétences de héron cendré et d’hippocampe pour ennagevoler du Boulodrome de Moëlan-sur-Mer à Locunolé.

 

Sur la place du marché, des cageots, des thermos et une bande de 5 joyeux drilles, trois femmes et deux hommes, plein d’entrain, qui se dédoublent en 10 personnages dont la vénézuelienne révoltée Gabriella, Tim, l’étudiant ingénieur paumé, la sensible Youna, Tek le fêtard. C’est la saison des abricots qui démarre.

Nous plongeons avec ces personnages, en « t-shirt déglingué », vieux short et « baskets pourraves », dans la réalité du travail dans les champs : j’ai « rêvé en fruits » moi aussi, j’ai ri des plaisanteries, j’ai souffert avec eux de leurs gestes répétitifs, j’ai chanté en rythme, grincé des dents (du bec plutôt) à l’évocation de leur dos cassé, de leurs réactions cutanées, de leurs problèmes respiratoires, de leur soif car « le verger cuit » sous l’implacable soleil.

J’ai frémi au surgissement vociférant des patrons et patronnes, et au récit des conditions de travail de nos camarades espagnols. Je suis passée du « taf » à la « teuf ».

Cette fête, trop alcoolisée pour ma petite corpulence, est de celles qui réparent les esprits en saccadant les corps au son de la musique techno, de celles où l’on oublie nos pauvres conditions de précaires travailleuses et travailleurs, jusqu’au drame… 

Drame qui fâche et sépare, puis qui réconcilie auprès d’un feu mourant dans une vigne sous la pluie. Décidemment, la météo joue sur nos vies. Pour une fois je me suis prise de tendresse pour un chien, Stevio. D’habitude je les fuis ! Je me suis aussi prise d’amitié pour ces humaines et humains que j’ai retrouvé pour une autre saison. Des abricots aux huîtres, de la sécheresse à la marée. Pourtant, la recruteuse de France Travail, bien au chaud derrière son bureau, nous avait prévenu : ce sera dur !

Ce fut dur : la vitesse à adopter pour retourner les poches d’huîtres avant que la marée ne monte, le froid, la lourdeur de la combinaison-ciré, les gestes répétitifs, les conditions de logement, les patrons qui surveillent… mais aussi la solidarité, la convivialité, les chants, l’amitié…

Avec toute l’assistance émue et enthousiaste, j’ai applaudi de mes nageoirailes. Moi chimère, j’étais d’autant plus touchée par cette fresque tragi-comique du réel, que, mi-héron, mi-hippocampe, je souffre doublement du changement climatique, doublement des pesticides, et comme les saisonnières et saisonniers, j’ai peur de disparaître… je garde espoir et puis j’ai encore beaucoup de belles choses à voir aux Rias !

 

Chimèrement vôtre


SURCOUF, notre barque pleine de grâces

À 14h je survole plus que ne surnage un étang au Trévoux. Près de 200 spectateurs attendent déjà le spectacle qui ne commence que dans une heure. Un étang poissonneux semble-t-il car ça y gigote…

 

Vous vous rendez compte du supplice pour moi, créature mi-héron. Je meurs d’envie d’y plonger mon long bec.

14h50, la totalité du périmètre de l’étang est occupée sur plusieurs rangs par le public.

15h03, Mickaël et Benjamin, tout sourire, deux « bonnes têtes sympathiques » se présentent sur la berge, traînant une barcasse.

Très vite, les deux compères provoquent, par leurs facéties, des éclats de rires dont ceux très communicatifs de plusieurs enfants. Le ton est donné.

Vont ainsi s’ensuivre des situations d’équilibre et de déséquilibre, de stabilité et d’instabilité sur la barque et sur la barge. C’est une succession de scènes burlesques et acrobatiques, de maladresses et de gestes gracieux … Eh oui, je n’ai pas peur des mots : de la grâce dans les déplacements de la barque et le maniement des rames, de la grâce dans les gestes natatoires de la scène finale… à ne manquer sous aucun prétexte !

Petit conseil pratique : Si, un jour, vous avez des difficultés pour enfiler un bonnet de bain trop étroit et récalcitrant, je vous assure qu’ils ont un truc infaillible.

Benjamin, en fin de prestation, n’a pas peur des mots et semble ne pas douter de la prestation : « Merci d’être venus ... Des fois tu payes et c’est pas bien, des fois t’as pas payé et t’as ça … ".

Le public est enthousiaste ...et pourtant ce n’est pas terminé, il reste le final en apothéose, de nage et d’eau !

J’ai passé un excellent moment à admirer les prouesses et les pitreries de ces deux complices.

Les applaudissements ont été nourris et auraient certainement pu durer si l’averse orageuse n’avait obligé les spectateurs à se disperser. 

Bravo encore Messieurs.

Quant à moi, Je m’ennagevole vers d’autres aventures. 

 


SPEN & LULLA, cadavre exquis

Pluie, pluie, pluie…, rues désertiques à Quimperlé. Et pourtant, une centaine de personnes attendent devant le portail du jardin de l’oratoire. Je surprends un échange entre artistes et organisateurs : « Ils sont déjà nombreux, il faut jouer ». Et c’est parti … Vous me croirez ou pas, la pluie cesse, un rayon de soleil fait son apparition. Des spectateurs continuent d’affluer d’on ne sait où.

 

Le narrateur nous présente Spen et Lulla, deux êtres atypiques, très particuliers, « deux oiseaux tombés de la branche » selon ses termes.

Spen ne trouve pas sa place dans ce monde, se pose beaucoup de questions sur son existence. « Il faut rester combien de temps sous la terre pour se décomposer ? »

Lulla, elle, est écorchée, emportée, à vif… elle est paumée, elle oublie.

Ils jouent aux dés, aux doigts, se perdent, s’oublient, se recherchent, se retrouvent.

Lulla et Spen semblent faits l’un pour l’autre, sont aux portes du bonheur selon le narrateur mais ne se trouvent pas.

Il cherche à les réunir, sans succès. Il voudrait bien faire, il agace sans doute.

Lulla s’emporte et provoque la mort du narrateur.

Mais, maintenant, comment se débarrasser d’un cadavre ?

Je suis choquée sans doute mais je me laisse emporter par leur folie.

Spen et Lulla nous entraînent dans des réflexions tantôt philosophiques, tantôt grinçantes, parfois morbides.

Ils font de nous leur complice jusqu’à nous emmener dans une déambulation. Ils se juchent, sur des balcons, sur des poubelles ou du mobilier urbain.

Ils entrent dans des appartements, se montrent à des fenêtres. Nous scandons, crions, chantons. Nous laisserions-nous manipuler ?

Ce spectacle m’interroge, m’interpelle, sur la vie (« Est-ce qu’on peut être heureux quand tout va de travers ? »), sur la mort (« Vous croyez que ça pense encore les morts ? ») 

Les acteurs livrent une belle performance, je les trouve fabuleux, tendres, irritants, naïfs et persuasifs à la fois. Ils sont très applaudis et, une fois n’est pas coutume, dans leurs remerciements, ils précisent : Merci à ceux qui nous « ont prêté leur chez eux »… Amusant non ?

 

Bravo au Collectif Xanadou. 

J’égoutte mes plumes et mes nageoires et fais route vers d’autres aventures.


JOUIR, sens dessus dessous

Ce soir, alors que le crépuscule s’étire sur Quimperlé, je me retrouve sur le parking de l’Ellé, mêlée à un public silencieux alors que s’ouvre JOUIR, spectacle de la compagnie Notre Insouciance. L’insouciance ne se lit pourtant pas sur les visages, chacun se demande comment le sujet va être traité !

 

Pour moi, personnage asexué, le titre aussi interpelle, il va me donner l’occasion de plonger dans les profondeurs de l’âme humaine !

Le spectacle commence sans fard, le récit s’articulant autour de la trajectoire d’une femme en quête d’orgasme. Mais rapidement, ce chemin intime devient collectif.

Elle fait appel à l’expérience de ses amis sous forme de monologues où chacun expose son expérience personnelle puis de groupes de parole. Le public est invité à participer à l’applaudimètre, dans une ambiance parfois grave, souvent joyeuse, l’humour qui aide à faire passer le propos étant constamment présent. Des numéros musicaux décalés permettent une respiration entre les témoignages.

Je suis touchée, j’admire ces jeunes qui se mettent à nu, levant des tabous, dépassant leurs pudeurs, chacun étant encouragé par les sourires bienveillants, les regards de tendresse de ses compagnons. Bien que les paroles soient souvent crues, je ne ressens aucune vulgarité dans les propos.

Dans le public, à plusieurs reprises, des éclats de rire fusent, parfois mélangés à des réactions plus émues ou gênées. Je vois que les spectateurs se sentent tous concernés. Ils vivent intensément les confessions des artistes, ils réagissent : sourires, malaise, tourments, complicité. Chacun réagit suivant sa propre expérience. Je perçois cependant une sorte d’osmose dans le public même si la sexualité est un sujet extrêmement personnel, chacun est solidaire des problèmes d’autrui.

JOUIR n’est pas un spectacle comme les autres, c’est une expérience collective qui bouscule. Le spectacle ne propose pas de réponses, mais un espace pour ressentir, rire, partager, et poser un regard sur notre propre sexualité.

Si moitié poisson je plongeais au début du spectacle dans les abysses des tourments humains, c’est, décomplexé et léger que, héron, je m’envole vers d’autres horizons…

Merci la compagnie Notre Insouciance.

et... À bientôt pour de nouvelles aventures !